2011 - 2021
10 ans
10 symboles
Le 17 Décembre 2010, Mohamed Bouazizi s’immole après avoir été arrêté une nouvelle fois par la Police et que son matériel ait été confisqué : il vendait des fruits et légumes sans autorisation, dans la rue. Il succombera à ses blessures le 4 janvier 2011. Cet événement entraine des protestations dans la ville, et un mouvement de protestation contre les / dénonciation des atteintes de la Police. La dénonciation des conditions sociales et économiques terribles des zones de l’intérieur du pays s’amplifie. Cette révolte trouvera son point d’orgue avec le départ de Ben Ali, après plus de 24 années de pouvoir sans partage. Bouazizi incarne le visage de la révolution tunisienne, et au-delà, celui du déclenchement des Printemps arabes.
Chokri Belaid, né en 1964, est un avocat et leader politique, qui s’engage dès les années 80, encore étudiant, dans des activités politiques et militantes. Il est connu pour avoir été très tôt un opposant au régime de Ben Ali : en 2008, il soutient les mineurs grévistes de Gafsa contre le pouvoir central, et ne renoncera jamais à ses engagements. Après le départ de Ben Ali, Belaid est tout autant critique avec le gouvernement dirigé par les islamistes de Ennahda. Chokri Belaid est assassiné le 6 février 2013, devant son domicile, à Menzah, en banlieue de Tunis. Son assassinat entraine de très vives protestations, ainsi que la démission du Premier Ministre Jebali, et la formation d’un gouvernement d’unité nationale. Jusqu’à ce jour, les commanditaires de son assassinat n’ont pas été identifiés.
Emel Mathlouti, plus couramment appelée Emel, a connu une gloire instantanée et virale en entonnant a capella, dans la foule massée devant le Ministère de l’Intérieur, sa chanson Kelmti Horraâ. Cette chanson est devenue l’hymne de la révolution tunisienne : Emel est invitee à chanter Kelmti Horaâ lorsque le Quartet tunisien reçoit le Prix Nobel de la Paix en 2015. Cette chanson ne marque pas toutefois la naissance des chansons engagées de l’artiste, qui avait déjà écrit des chansons critiques sous le régime de Ben Ali, telles que Ya Tounes Ya Meskinaâ en 2006. Cette chanson puis d’autres la conduiront à se réfugier à Paris en 2008, après que le régime de Ben Ali en interdira toute diffusion sur les ondes radio et à la télévision : cependant, ses chansons ont continué à être diffusées plus clandestinement, notamment via Internet.
Lina Ben Mhenni est une blogueuse et activiste tunisienne, par ailleurs Maître de conférence en Linguistique à l’Université de Tunis. Lina a grandi dans une famille engagée : ainsi, son père Sadok fut un prisonnier politique et sa mère était membre de syndicats étudiants. Lina est célèbre pour son blog, Une fille tunisienne, qu’elle partage en arabe, français et anglais et sous son vrai nom : ceci lui vaudra la censure du régime Ben Ali. En 2010, Lina est l’une des organisatrices centrales des manifestations contre la censure et les atteintes à la liberté de la presse. Dès le début de la révolution, Lina partage des articles sur son blog, informant les autres activistes dans le pays, en contournant la censure, et qui seront repris par la presse étrangère. Son militantisme ne s’arrête pas avec l’avènement de la Démocratie en Tunisie, et Lina poursuit son combat, notamment contre la corruption qui gangrène le pays. Avec son père Sadok, ils lancent un projet d’aménagement de bibliothèques dans les prisons, afin de prévenir les dérives terroristes. Alors qu’elle souffrait d’une maladie incurable des reins, Lina engage son dernier combat en dénonçant l’état déplorable des hôpitaux en Tunisie. Elle meurt le 27 janvier 2020.
Béji Caïd Essebsi (BCE) est un homme d’Etat et homme politique tunisien, parmi les plus influents dans l’histoire du pays : il est actif durant plus de 60 ans dans les arcanes du pouvoir. Issu d’une famille de l’élite tunisienne, aux origines sardes, BCE débute sa carrière en 1941 quand il rejoint le l’organisation des jeunes du parti Neo Destour. En 1950, il part étudier le droit à Paris, avant de rentrer en Tunisie pour exercer en tant qu’avocat : il devient l’avocat du mouvement Neo Destour, et rencontre celui qui va changer son destin, Habib Bourguiba. Après l’indépendance de 1956, il devient conseiller d’Habib Bourguiba, et occupe un grand nombre de postes parmi lesquels Ministre de l’Intérieur, Ministre de la Défense, Ambassadeur à Paris. A la fin du règne de Bourguiba, il est Ministre des Affaires étrangères, de 1981 à 1986, et fait partie de ceux qui soutiennent l’éviction de Bourguiba pour raisons médicales, par Ben Ali en 1987. BCE fait un ‘come back’ politique bref en 2011, en tant que Premier Ministre lors des premiers pas de la transition démocratique, puis il s’attèle à la création du Mouvement de coalition Nidaa Tounes, en vue des premières élections générales de 2014. C’est avec ce parti qu’il remporte la majorité des sièges à l’ARP en octobre 2014, devant les islamistes, avant de remporter les élections présidentielles en décembre 2014. Beji Caïd Essebsi devient ainsi le premier Président de la République tunisienne démocratiquement élu. Il décède le 25 juillet 2019, dans l’exercice de ses fonctions.
Les forces armées ont joué un rôle majeur dans la réussite de la révolution tunisienne : en effet, le choix de ne pas intervenir dans la situation politique intérieure ni d’ailleurs de réprimer les manifestants ont a été un élément clé. L’armée tunisienne est la plus petite du monde arabe, sans réelle expérience d’intervention armée majeure. L’armée a en effet, historiquement en Tunisie, occupé une place moindre que la Police, privilégiée par les présidents Bourguiba et Ben Ali. Ainsi, l’armée a très souvent été considérée comme sous financée et sous équipée : dès lors, elle a toujours gardé ses distances avec le pouvoir en place. Cette position neutre a été fondamentale lors de la Révolution, alors que la Police était discréditée pour être à la solde de Ben Ali. Le fait d’armes majeur de cette institution fut le refus de Rachid Ammar, Chef des armées durant les événements de décembre 2010, de donner l’ordre d’intervenir contre les foules de manifestants. En s’opposant aux ordres du pouvoir de Ben Ali, l’Armée s’est installée comme acteur fiable et respectueux, et l’a démontré dans les jours qui ont suivi le départ de Ben Ali, assurant la sécurité du territoire.
Le Quartet National du Dialogue est l’association de 4 acteurs de la société civile, représentés par Abdessatar Ben Moussa de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH), Noureddine Allegue de l’Ordre des Avocats, Houcine Abassi de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) et Wided Bouchamaoui de l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA). Le Quartet est constitué durant l’été 2013, comme suite à la dégradation de la situation politique et sécuritaire dans la Tunisie de la transition. Rejoint par 21 autres organisations, le Quartet a pour mandat de sauvegarder les acquis de la révolution et d’assurer une transition pacifique et démocratique : il travaillera de l’été 2013 jusqu’à janvier 2014. A l’automne 2015, les efforts de cette initiative sont salués par l’obtention du Prix Nobel de la Paix, le Quartet ayant œuvré à ‘la construction d’une Tunisie démocratique et plurielle’.
‘La première révolution Facebook’ ou ‘première révolution digitale’ : de très nombreuses analyses ont considéré que le réseau social leader avait joué un rôle essentiel dans les événements conduisant à la chute de Ben Ali en 2011. La plateforme est ainsi une formidable caisse de résonance aux événements qui se multiplient à travers le pays, dès après l’immolation de Bouazizi à Sidi Bouzid, le 17 décembre 2010 : des vidéos des manifestations se propagent, des images de la répression policière également. Facebook devient dès lors un formidable réseau d’information locale : certains partagent les emplacements des manifestations ou des forces de police visant à les réprimer. Les protestations des rues trouvent un écho indéniable et imprévu sur le réseau social, alors que la censure règne en général en Tunisie. Cependant, le rôle de Facebook ne se limite pas aux seuls tunisiens : la plateforme devient ainsi la source principale d’information des médias étrangers, grâce à de nombreux activistes partageant faits et détails, quand les médias officiels taisent la gravité de la situation, puis la minimisent. Une des figures majeures de cet activisme sur Facebook reste Lina Ben Mhenni. Les médias sociaux jouent un rôle tout aussi majeur après le départ de Ben Ali, alors que les menaces de chaos se répandent : les citoyens s’organisent, par quartiers notamment, via des informations partagées sur les réseaux sociaux, et font s’éloigner les risques de déstabilisation long-temps redoutée. Si les débats perdurent quant à la définition même du rôle des médias sociaux durant ces événements, une vision partagée pourrait se résumer en : ‘les médias sociaux n’ont pas créé la révolution, mais ils l’ont amplifiée’.
’J’ai entendu beaucoup de commentaires sur la révolution, tels que l’expression « une révolution Facebook ». Ce n’était pas une révolution Facebook, tout a commencé sur le terrain, à Sidi Bouzid, après que Bouazizi se soit immolé, que les habitants de la ville ont manifesté et la police les a réprimés’- Lina Ben Mhenni. Les débats quant à la nature de la révolution en Tunisie n’ont jamais vraiment cessé, quant aux acteurs qui en auraient été les plus influents : les activistes de Facebook ou les manifestants, dans la rue. Quoi qu’il en soit, les manifestations qui commencèrent à Sidi Bouzid furent symboliques : très vite, c’est en effet tout le système politique répressif du clan au pouvoir qui est dénoncé, jusqu’à son sommet, Ben Ali et la famille Trabelsi. Ceci ne s’était jamais produit durant les 24 années de pouvoir sans partage de Ben Ali. L’histoire de la Tunisie est parcourue de nombreuses protestations : la grèves des mineurs de Gafsa en 2008, ou plus avant, les ‘émeutes du pain’, en 1984. Ces protestations répondaient à des besoins économiques, à des situations particulières. En 2010, si les manifestations ont débuté autour de revendications sociales, elles changent très vite de visage, pour demander un changement total de régime politique, résumés en un mot symbolique : ‘dégage’.
Lors de chaque événement historique, des mots ou des visages émergent et marquent à jamais la conscience collective : la chanson a capella de Emel dans la foule des manifestants ou les ‘dégage’, face au Ministère de l’Intérieur. La révolution tunisienne aura également été marquée par ces deux autres visages : ‘l’homme à la baguette’, pointant son inoffensive baguette de pain telle une arme face à la Police, et bien sûr, cet homme déambulant comme hagard sur l’avenue Bourguiba, juste après la confirmation du départ de Ben Ali, criant ce qui restera un des mots symboliques de la révolution, ‘harimna !’. (développer en une phrase pour ceux qui ont oublié le sens du mot ?)